Recherche participative
Qu’est-ce que c’est ?

Définition et principes généraux
Le 20 mai 2017, la France présente sa Charte des sciences et recherches participatives en France, signée par de nombreux établissements d’enseignement supérieur et de recherche, l’INSERM mais également des ONG et des associations, afin de mieux répondre aux enjeux sociétaux, en renforçant le lien entre la science et les citoyens.
Les signataires dont le Secrétaire d’État en charge de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, adoptent la définition suivante :
Cette charte concrétise ainsi l’une des propositions du rapport sur « Les sciences participatives en France : état des lieux, bonnes pratiques et recommandations », remis en 2016 par François Houllier à la Ministre de l’Éducation Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et à son Secrétaire d’État. Elle témoigne de l’intérêt, de plus en plus reconnu, tant au niveau scientifique que dans la pratique, des bénéfices de la recherche participative à de multiples niveaux.
Concrètement, en impliquant les citoyens, la recherche participative permet aux chercheurs de développer des travaux qui partent réellement des besoins et des réalités exprimées sur le terrain.
De plus, en favorisant le dialogue entre les acteurs de la société civile et les milieux universitaires, rarement amenés à échanger ou à utiliser un langage commun, elle permet aux citoyens de mieux appréhender la démarche scientifique et ses contraintes.
L’association Sciences Citoyennes a produit un rapport intitulé « La recherche participative comme mode de production des savoirs » (2013), dans lequel elle explique en termes accessibles les apports d’une telle recherche, notamment par les changements qu’elle permet dans les rapports au savoir.
L'approche de recherche participative basée sur la communauté ou "approche CBPR"
Parmi les recherches participatives, plusieurs approches existent, dont l’approche dite « de recherche participative basée sur la communauté », ou CBPR (pour Community-Based Participatory Research). Elle peut être considérée comme une approche particulièrement affirmative, qui pousse le principe de la participation citoyenne au maximum, en engageant réellement les personnes concernées dans toutes les étapes du processus de recherche, afin de créer des connaissances scientifiques fiables sur un phénomène donné, généralement sous-exploré ou insuffisamment délimité. Dans une telle approche, le rapport à la réalité et au savoir est envisagé différemment : les citoyens impliqués dans la recherche ne sont plus de simples participants mais bien des co-créateurs de la connaissance. Leurs expériences et compétences sont complémentaires des savoirs théoriques et méthodologiques des chercheurs, et également valorisés. Au final, les résultats issus de recherches participatives facilitent la mise en place de politiques ou d’interventions réellement utiles pour la communauté car conçues pour et avec elle.
L’un des premiers articles à proposer une formalisation des méthodologies de l’approche CBPR dans le domaine de la santé (Israel, Schulz et Parker, 1998, 2005) formule neuf principes pouvant guider les partenaires dans la réalisation d’une recherche participative d’approche CBPR :
- Reconnaître les communautés comme des "unités d'identité"
- Construire sur les forces et les ressources déjà existantes des communautés
- Faciliter l'établissement de partenariats équitables, collaboratifs, favorisant le pouvoir d'agir et répondant aux inégalités sociales
- S'engager pour le co-apprentissage et l'acquisition de compétences
- Trouver un équilibre entre créer de la connaissance et intervenir pour permettre des bénéfices mutuels entre les partenaires
- Se concentrer sur des problématiques locales d'intérêt public
- utiliser un processus cyclique et reproductible
- Partager les résultats et les connaissances à l'ensemble des partenaires
- Établir des partenariats durables et sur le long terme avec les communautés
L'approche CBPR dans le domaine de l'autisme
Dans le domaine de l’autisme, le groupe AASPIRE fait partie des pionniers en la matière.
Le schéma ci-dessous est une traduction en français, faite par le LAPÉFA, de la version originale d’AASPIRE et publié ici avec leur autorisation. Il présente dans les grandes lignes et pour chaque étape de la recherche les rôles des chercheurs et de la communauté autiste dans une équipe de recherche d’approche CBPR.

En 2019, Nicolaidis et ses collègues, membres actifs d’AASPIRE, ont publié un article intitulé « Lignes directrices basées sur la pratique d’AASPIRE pour l’inclusion des adultes autistes dans les recherches, en tant que co-chercheurs et participants d’études » (traduction française libre), dans lequel ils formulent des recommandations pratiques pour créer et faire vivre un groupe de recherche d’approche CBPR, basées sur les douze années d’expérience de leur propre équipe.
Résumé en français des recommandations proposées par Nicolaidis et al. (2019), pour faciliter une inclusion réussie des personnes autistes en tant que co-chercheurs : consulter >>
En outre, Gowen et al. (2019) soulignent le fait que les personnes autistes impliquées dans les recherches participatives les concernant ont la possibilité de choisir le « niveau de participation » qui leur convient, pour contribuer à la production d’une recherche fiable et valide, qui aura un impact significatif et positif sur la qualité de vie des personnes autistes.
Cette participation active des personnes autistes apparaît non seulement pertinente, mais également nécessaire pour :
- améliorer le niveau de satisfaction des personnes autistes quant à leur implication dans les travaux de recherche les concernant. Elles déplorent le manque de communication sur les opportunités de recherche et les résultats d'étude, qui limite leurs possibilités de contribution aux études et peut conduire à une insatisfaction concernant les interprétations des résultats proposées par les chercheurs (Pellicano, Dinsmore and Charman, 2014b). Il convient également d'informer les personnes autistes des réalités de la recherche, qui ont parfois des attentes irréalistes ou une image erronée du milieu universitaire ;
- éviter l'écueil du "problème de double empathie", c'est-à-dire la difficulté réciproque des chercheurs et des personnes autistes à se comprendre, en raison de leur appréhension différente du monde (Milton, 2012). Le manque d'expérience "familière" des chercheurs non-autistes avec le vécu autistique peut limiter leur compréhension des préoccupations et expériences des personnes autistes. Cela peut conduire à mauvaise appréciation de ce qui est perçu comme difficile par les personnes autistes lorsqu'elles prennent part aux travaux ou de l'interprétation que se font ces dernières de la recherche.
Sans consultation – approfondie – des acteurs de terrain ou des personnes directement concernées, l’écueil pour les chercheurs est de réaliser des travaux menés de telle sorte qu’ils conduisent les personnes autistes à mésinterpréter les attentes des chercheurs ou, lorsqu’ils sont participants, à prendre part à l’étude dans un état anxieux important. Ces situations peuvent affecter la collecte des données et conduire à des résultats non représentatifs.
Défis et bénéfices de la recherche participative
Si la conduite de recherches participatives d’approche CBPR au sein des équipes peut sembler parfois ne comporter que des avantages, il est indispensable d’être conscient de certains aspects, notamment :
– Les réalités et contraintes inhérentes au milieu de la recherche (et universitaire plus généralement) ;
– Les difficultés non négligeables qui accompagnent la création, le développement et la pérennisation d’un groupe de recherche participative, majoritairement composé de membres non chercheurs, aux parcours académiques, professionnels et de vie très divers, et présentant pour la plupart des particularités sur les plan cognitif, organisationnel ou de la communication (tant expressive que réceptive).
Pour l’illustrer concrètement, nous proposons ici un tableau synthétique des enjeux, apports et défis rencontrés par les membres du LAPÉFA depuis sa création. Il est issu de nos échanges avec la chercheuse Adeline Lacroix, qui a recueilli en 2022 nos témoignages (et ceux d’autres groupes de recherche participative) dans le cadre de la rédaction de la préface d’un ouvrage à paraître sur les sciences participatives.
Certaines informations présentées ci-dessous peuvent n’être plus d’actualité puisque le texte a été rédigé en 2022, notamment avant la constitution en association du LAPÉFA.
Nom de l'équipe et objectifs
LAPÉFA (Laboratoire Participatif d’Étude de la Fatigue dans l’Autisme ; groupe indépendant, en train de se constituer en association). Projet visant à identifier et caractériser les phénomènes et les marqueurs de fatigue cognitive chez les personnes autistes, d’en mesurer les effets et de développer des outils de supervision et remédiation.
Informations générales
Début : 2020
Groupe :
- Comité de pilotage composé d’un chercheur en psychopathologie neurodéveloppementale, d’une personne autiste professionnelle du médico-social et d’un psychomotricien
- Groupe de recherche composé de dix membres (personnes autistes, chercheurs et professionnels de santé)
Budget : aucun, pour le moment
Avantages
- Bonne cohésion de groupe grâce à un rapport de confiance qui a été travaillé
- Groupe constitué d’une majorité de personnes autistes
- Ensemble du groupe engagé sur toutes les étapes du projet (objectifs, rédaction de questionnaires, analyses…)
- Personnes autistes sollicitées sur leurs priorités garantissant une communication entre la recherche et la vie quotidienne
- Montée en compétence réciproque et sentiment d’utilité partagée
- Retombées directes pour les personnes concernées (application pour l’identification et la gestion de la fatigue cognitive)
Difficultés rencontrées
- Maintenir une dynamique malgré l’éloignement géographique, les problématiques de chacun (indisponibilités, fatigabilité…) et l’engagement bénévole
- Développer l’acculturation réciproque
- Permettre à chacun de se sentir légitime de partager ses idées et d’initier des projets
- Rendre la communication explicite
- Trouver un équilibre entre l’indépendance totale, favorisant liberté et confiance, et l’établissement de partenariats, notamment institutionnels, afin d’avoir du soutien et des financements
- Différencier, dans l’expérience subjective des personnes autistes, ce qui relève de l’autisme de ce qui relève de comorbidités
Contenu retranscrit et partagé sur ce site avec aimable autorisation de l’auteure (Adeline Lacroix, 2022)
La synthèse définitive, présentant les résultats pour toutes les équipes interrogées, sera prochainement disponible sur notre site.
Références :
Gowen, E., Taylor, R., Bleazard, T., Greenstein, A., Baimbridge, P., & Poole, D. (2019). Guidelines for conducting research studies with the autism community. Autism policy & practice, 2(1 A new beginning), 29.
Houllier, F., & Merilhou-Goudard, J. B. (2016). Les sciences participatives en France.
INSERM (2021). La recherche participative.
Israel, B. A., Schulz, A. J., Parker, E. A., & Becker, A. B. (1998). Review of community-based research: assessing partnership approaches to improve public health. Annual review of public health, 19(1), 173-202.
Israel, B. A., Eng, E., Schulz, A. J., & Parker, E. A. (2005). Introduction to methods in community-based participatory research for health. Methods in community-based participatory research for health, 3, 26.
Milton, D. E. (2012). On the ontological status of autism: The ‘double empathy problem’. Disability & society, 27(6), 883-887.
Nicolaidis, C., Raymaker, D., Kapp, S. K., Baggs, A., Ashkenazy, E., McDonald, K., … & Joyce, A. (2019). The AASPIRE practice-based guidelines for the inclusion of autistic adults in research as co-researchers and study participants. Autism, 23(8), 2007-2019.
Pellicano, E., Dinsmore, A., & Charman, T. (2014). Views on researcher-community engagement in autism research in the United Kingdom: A mixed-methods study. PLoS One, 9(10), e109946.